Pâtes à trac

Béatrice Croquet. Jean-Louis ChevallierMON PETIT EDITO !
par Béatrice Croquet

« Rideau dans dix minutes !… Rideau dans cinq minutes !… »
Je les observe en coulisses : ils ont les yeux vides, les lèvres sèches, la gorge nouée, les jambes qui se dérobent. Je sais qu’ils ont le cœur qui fait mal à force de trac.

Ils ont tout simplement envie de fuir, de laisser tomber ! Dès demain, c’est juré, ils vont se mettre au tricot, à la peinture sur porcelaine ou à la culture des champignons de Paris …

– « Mais qu’est-ce que je fais là ?!… Et puis, comment « ça » commence déjà ?…
Ca y est, j’ai un « trou » !… » Ils écoutent, un peu hagards, les yeux ailleurs, mes dernières recommandations fébriles :
– « Vous avez des choses à leur dire, ils sont venus pour les entendre ! Aimez-les et ils vous aimeront ! Et puis, de la couleur, de la légèreté, du rythme, de l’énergie … Allez, M… à tous ! Moi aussi, je vous aime !… »

Alors, parce qu’il n’y a plus d’autre choix, ils s’avancent, transfigurés, dans la lumière aveuglante. Ils sont là, devant vous, le public, au bord de ce « 4ème mur » vertigineux comme un précipice, poussés virtuellement dans le dos par la ferveur du metteur en scène qui – ils le savent bien ! – a « au moins » aussi peur qu’eux !
Et ils s’essayent de toute leur âme au périlleux passage des mots, des images et des émotions. Ces mots, comme des cadeaux, ces mots qu’un auteur complice leur a confiés, ces mots qu’ils vous offrent en partage.

Parfois, l’alchimie se fait et le public « renvoie la balle » : une certaine qualité de silence, la délivrance d’un rire, un frémissement à l’unisson et… le miracle s’accomplit ! La partie se joue à égalité de plaisir, dans un bonheur ineffable ! Grisante bouffée d’adrénaline qui efface en vrac toutes les angoisses, valide la fatigue, les longues heures de répétitions, les « nuages » personnels à dépasser, les échanges musclés à propos du sens d’un mot, de l’épaisseur d’un personnage, de la portée d’une réplique …
Mais parfois aussi, « ça rame », « ça savonne », « ça plombe », « ça … Bref, ça ne marche pas comme on voudrait ! Terrible équation du spectacle vivant !…
Oui, bien sûr, « vous » le public, vous vous dites « Plutôt… content, dans l’ensemble … Vous n’avez rien vu ! Ca s’est bien passé !… » Mais la seule chose que les comédiens vont retenir, ce sont ceux d’entre vous qui « ont … « quand même préféré la dernière pièce !… ». Ah, que c’est douloureux à entendre, ce commentaire, énoncé sans doute dans l’intention de faire plaisir, mais qui résonne, lugubre comme un couperet de guillotine …
Qu’à cela ne tienne, on recommencera dès le lendemain à tout « mettre à plat » et à se poser les bonnes questions pour avancer, progresser encore et encore !

« Le monde est une scène et chacun y joue son rôle » n’est-ce pas, Monsieur Shakespeare !… Alors, ce que l’on se souhaite, ce que l’on « vous » souhaite, c’est – bien au-delà du Théâtre – de vaincre TOUS les tracs : trac de communiquer, trac d’espérer, d’entreprendre, de croire au changement, trac de s’engager, trac d’aimer… Faisons donc en sorte que cette pièce-là aussi soit un succès, car sur les « planches de notre vie » – nous le savons trop bien – nous n’aurons droit… qu’à « une seule » représentation !…

Béatrice Croquet